Trois mai mille neuf cent quatre vingt onze, Firenze, Italie, Andréa Duarte, ma mère, me mettait au monde. Et déjà, mon père était absence. "Réunion importante". C'était son excuse favorite qu'il sortait à toute occasion, et ma mère ne prenait jamais la peine de la vérifier, déjà bien trop détruite par cet homme fort et imposant. Ma mère était une créature fragile au visage si pâle qu'on pouvait discerner ses veines violettes sillonner sous la peau de ses avant-bras. Elle avait de grands yeux verts, un petit nez d'enfant et d'interminables cheveux d'ébène, toujours portés en un chignon désordonné. Elle avait des mains de squelette, mais ses doigts fins étaient d'une douceur sans pareil. Frantz, mon géniteur, que je n'appelais jamais "papa", était allemand d'origine et était venu en Italie pour faire sa thèse en droit des affaires, c'est à cette époque qu'il avait rencontré ma mère et l'avait épousé alors qu'elle avait tout juste dix huit ans tandis qu'il en avait déjà vingt sept. C'était une brute d'un mètre quatre vingt dix, des bras de boxeur et un regard à glacer le sang. Il a toujours su rester en dehors de ma vie, il ne m'a pas appris à nager, à faire du vélo ou même à pécher, non, tout ce qu'il savait faire, c'était lever la main sur ma mère et rester cloué à son bureau nuit et jour à griffonner du papier. Frantz disparu lorsque j'avais sept ans, fauché par une voiture alors qu'il traversait la route dans son costume cravate, le nez dans son journal. Une mort stupide que je n'ai pas pleuré, au moins cette fois-ci son absence ne serait plus volontaire. Après sa mort, Andréa était tombée dans une sorte de dépression avec des symptômes hystériques. Elle me faisait peur, mais elle me faisait surtout beaucoup de peine. Je suis restée à son chevet pendant dix années, à faire en sorte qu'elle ne sombre pas dans la mélancolie car je savais que si ça devait arriver, je la perdrait. Le jour de mes dix sept ans, elle a été interné à l'hôpital psychiatrique principal de Rome. C'était comme une petite mort pour moi, étant fille unique je n'avais désormais plus personne sur qui compter. On a dû me placer dans un pensionnat jusqu'à ma majorité. L'année la plus dure de toute ma vie où se mêlait violence, drogue et viols en groupe. Par miracle j'avais pu échapper à tout ça, et je m'en était sortie avec seulement un oeil au beur noir. À mon dix huitième anniversaire, j'ai pu quitter cet enfer qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui, j'ai déménagé à Rome, j'ai rendu visite à ma mère et me suis inscrite à la faculté de psychologie européenne. Ma mère était devenue une enveloppe charnelle totalement vide, et passait ses journées assise à regarder par la fenêtre, elle ne me reconnaissait plus. J'avais un besoin pressant de quitter ce climat de crainte et de froid, c'est alors qu'en troisième année de psychologie je décidais de partir un an à l'étranger pour étudier. Barcelone s'est présenté à moi d'une façon tout à fait logique : du soleil, la mer, de l'alcool, et beaucoup de drogue. L'occasion rêvée de me vider la tête.